Licenciement et liberté d’expression du salarié : la Cour de cassation précise les contours de la protection en cas d'intervention d'un avocat
La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi que par l’article L.1121-1 du Code du travail.
Sauf à ce que cette liberté soit exercée de manière abusive, un employeur ne peut pas fonder le licenciement d’un salarié exerçant sa liberté d’expression.
En cas de licenciement prononcé en violation de la liberté d’expression le salarié bénéficie d’une protection renforcée. Cette protection peut aboutir à sa réintégration dans l’entreprise ou à l’octroi d’une indemnité échappant au barème d’indemnisation prévu par le Code du travail.
Mais cette protection s’étend-elle aux propos tenus par un avocat mandaté par le salarié ? Autrement dit, un courrier adressé par un avocat, exprimant une critique ou une opposition à un employeur, peut-il être considéré comme une expression du salarié lui-même et entraîner la nullité du licenciement en cas de licenciement prononcé sur le fondement de ce courrier ? C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu dans un récent (Cass. soc., 10 sept. 2025, n° 24-12.595), précisant ainsi les limites concrètes de la liberté d’expression dans le cadre d’un contentieux prud’homal.
Un principe protecteur : la liberté d’expression comme fondement de nullité du licenciement
En droit du travail, la protection des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression, est solidement ancrée dans les textes et consolidée par la jurisprudence. Le licenciement prononcé en violation d’une liberté fondamentale, comme la liberté d’agir en justice ou celle de s’exprimer, est nul. Cette nullité emporte des conséquences particulièrement lourdes pour l’employeur.
L’article L.1235-3 du Code du travail prévoit que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse a droit à une indemnité encadrée par le barème dit « Macron ». Toutefois, en application de l’article L.1235-3-1 du Code du travail, ce barème ne s’applique pas lorsque le licenciement est fondé notamment sur une atteinte à une liberté fondamentale. Dans ce cas, la nullité du licenciement est retenue et le salarié peut obtenir une indemnité minimale correspondant à six mois de salaire, sans plafond. Il peut également demander sa réintégration dans l’entreprise. Si cette réintégration est ordonnée, le salarié peut prétendre au versement des salaires non perçus entre la date du licenciement et celle de son retour dans l’entreprise sans déduction des revenus de remplacement perçus durant cette période (Cour d’appel de Paris, pôle 6 ch. 8, 26 févr. 2019, n° 18/00731).
Les juridictions annulent ainsi régulièrement des licenciements en cas d’atteinte à la liberté d’expression, même lorsque les propos du salarié étaient critiques, dès lors qu’ils ne dépassaient pas les limites de l’abus. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé qu’un salarié exprimant de manière récurrente son désaccord avec la politique commerciale de son employeur, sans adopter un ton injurieux ou diffamatoire, ne commettait pas d’abus de sa liberté d’expression (Cass. Soc., 30 nov. 2017, n° 16-21.249). Il est de même pour un salarié remettant en cause, lors d’une réunion publique, en présence de la direction, les directives données par un supérieur hiérarchique (Cass. Soc., 21 sept. 2022, n° 21-13.045) ou encore ayant exprimé publiquement, lors d’un dîner auprès d’un client de l’entreprise, son désaccord sur l’organisation interne de son employeur (Cour d’appel de Paris, 31 octobre 2024, n° 21/08434).
Il en ressort que la jurisprudence tend à renforcer l’effectivité de la protection des libertés fondamentales dans l’entreprise, en particulier lorsqu’il s’agit de garantir la liberté pour un salarié de s’exprimer, de critiquer ou de contester certaines décisions.
Une lettre d’avocat peut-elle fonder la nullité d’un licenciement sur le fondement de la violation de la liberté d'expression?
L’arrêt du 10 septembre 2025 s’inscrit dans cette lignée tout en venant préciser les limites de la protection accordée à la liberté d’expression. En l’espèce, un salarié cadre dirigeante s’était vu proposer une rupture conventionnelle par son employeur. Ce salarié refusa la proposition et, par l’intermédiaire de son avocat, fit adresser une lettre à l’entreprise dans laquelle le comportement de celle-ci était critiqué. Le courrier qualifiait certains propos tenus à l’égard de la salariée de « brutaux ».
Quelques jours après la réception de cette lettre, l’employeur procéda au licenciement de la salariée pour insuffisance professionnelle. Estimant que cette décision constituait une sanction déguisée en réaction au courrier de son avocat, la salariée contesta son licenciement devant les juridictions prud’homales. Elle invoqua une atteinte à sa liberté d’expression et demanda l’annulation du licenciement sur ce fondement.
La cour d’appel accueillit favorablement cette argumentation. Se fondant principalement sur la chronologie des faits, elle estima qu’en l’absence de motif clair et justifié de licenciement, l’envoi du courrier de l’avocat constituait vraisemblablement le déclencheur réel de la rupture. Elle conclut que le licenciement était donc nul en raison d’une atteinte à une liberté fondamentale.
La Cour de cassation, saisie du pourvoi, censure l’analyse retenue par les juges du fond. Dans son arrêt du 10 septembre 2025, elle affirme clairement que la liberté d’expression du salarié implique que les propos ou actes à l’origine de la rupture doivent émaner directement de lui. En d’autres termes, un courrier rédigé par un avocat, même s’il agit au nom du salarié, ne peut être assimilé à une prise de position personnelle de ce dernier.
La haute juridiction considère que l’argument chronologique invoqué par la cour d’appel est insuffisant. Elle souligne également que la lettre de licenciement ne faisait état d’aucun grief lié à une prise de parole ou à une quelconque critique formulée par la salariée elle-même. Dans ces conditions, il ne pouvait être déduit que le licenciement avait été motivé par une atteinte à la liberté d’expression.
La Cour précise enfin que la situation aurait pu être différente si la salariée avait personnellement formulé les critiques contenues dans le courrier de son avocat. Dans ce cas, et si le licenciement était intervenu en réaction à cette expression personnelle, la nullité aurait pu être envisagée au regard des protections offertes par le Code du travail.
La liberté d’expression en droit du travail protège les propos tenus personnellement par le salarié et ne s’étend pas aux écrits de ses représentants ou conseils juridiques, qui ne peuvent être considérés comme l’expression directe de sa pensée ou de ses opinions.
Reste pour autant que la nullité du licenciement aurait éventuellement pu être recherchée sur le fondement non pas de la violation de la liberté d'expression mais de la violation de la liberté d'ester en justice.
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